• Parlons un peu du Thin Privilege (Privilège de la minceur)

    Dans mon dernier article sur les VI - désormais repris ici -, j'ai cité 3 articles en anglais. Comme je voulais les communiquer à des personnes qui ne sont pas très à l'aise pour lire l'anglais, j'ai entrepris de les traduire. Pour la traduction de ce premier article, je me suis en partie inspirée d'une traduction publiée sur Facebook... Il y a certains choix de traduction que je n'aurais pas faits donc j'ai refait la mienne en me basant sur celle-là. A part ça, ces traductions n'engage évidemment que moi.

    L'article original est ici.

    Je mesure 1m62 pour 57kg.
    Mes mensurations : 91 – 71 – 96.
    Je porte une taille medium pour les tops, du 36 pour les jeans et (au cas où vous vous le demandez) je chausse du 39.
    Je ne suis jamais rentrée dans un magasin de vêtements sans pouvoir trouver un article à ma taille.
    On ne m’a jamais demandé de payer plus pour une place dans un avion.
    Je n’ai jamais été écartée comme rencard potentiel en raison de ma morphologie, ni été ouvertement dénigrée par quelqu’un lorsque je mangeais des frites en public.
    Aucun médecin n’a jamais balayé mes craintes avec un remède du genre « Perdez du poids et vous vous sentirez bien ! ».

    Je peux commencer un article en donnant mes mensurations sans la crainte d’être jugée.
    Je vis dans ce monde en tant que personne mince.
    Et en tant que telle, je n’ai jamais été victime de discrimination envers les gros.
    Ceci étant dit, je veux que sachiez deux choses :
    1. J’écris cet article du point de vue de personne privilégiée, et
    2. Je ne suis pas ici pour maudire, accuser ou embarrasser les minces.
    Mais je pense que nous devrions avoir une conversation.
    Parce qu’il est facile dans tomber dans les vieilles excuses expliquant en quoi on n’est pas privilégié — ce que je vois à de nombreuses reprises quand on aborde le sujet du privilège des minces.
    « Comment puis-je avoir le privilège de la minceur ? Je déteste mon corps ! Ce n’est pas un privilège! En outre, quelqu’un m’a attaqué sur mes « jambes d’allumettes » l’autre jour, en quoi c’est différent d’une attaque en traitant quelqu’un de gros ? Et je suis mince parce que, de toute façon, j’ai un trouble du comportement alimentaire et, croyez-moi, ça n’a rien d’un privilège ».
    J’entends ce que vous dites.
    Mais je pense qu’il est temps pour nous de regarder ces excuses (et comment elles ne se tiennent pas) d’un peu plus près.

     

    Complexes vs. Oppression
    Laissez-moi commencer en disant cela : Être blessé [se sentir mal dans son corps], ça craint.
    Et je ne vous dirais jamais de juste « souffrir en silence » ou de « s’en remettre ».
    Parce que, bon sang, les mots peuvent faire très mal. Tout comme l’attitude générale et le comportement des autres.
    Je ne suis pas ici pour dire que vos complexes ne comptent pas.
    Mais plutôt, je suis ici pour vous dire de les mettre en perspective.
    Parce que l’impact des complexes n’est tout simplement pas la même chose que l’oppression.
    L’oppression implique « l’assujettissement systématique d'un groupe de personnes par un autre groupe de personnes qui a l'accès au pouvoir social, il en résulte l’avantage d’un groupe sur l'autre, et cet assujettissement est entretenu par des croyances sociales et des pratiques. »
    Autrement dit, l’oppression est un problème spécifique.
    Et ce, pour quatre raisons :
    1. C’est omniprésent.
    Cette oppression se retrouve partout dans des institutions sociales, et ancré dans les consciences individuelles.
    Par exemple, si vous faites une blague sur les gros, tout le monde autour de vous va la comprendre – parce la croyance populaire qu’être gros est drôle est très répandue.
    2. C’est limitant.
    Les limites structurelles ont un impact significatif sur les opportunités et la perception des possibilités, hors de tout contrôle personnel.

    Jetez un œil à ces exemples de privilège de la minceur : http://everydayfeminism.com/2012/11/20-examples-of-thin-privilege/

    (traduction ici)
    Par le simple fait de ne pas avoir accès à ces privilèges, la vie des personnes plus grosses se retrouve limitée.
    3. C’est hiérarchique.
    Les groupes dominants ou privilégiés tirent un bénéfice, par des voies inconscientes, de l’impuissance des groupes oppressés.
    Pensez à l’exemple que j’ai donné plus tôt concernant les rencarts. Je bénéficie de la grossophobie puisque j’ai plus de chance que mes messages, sur un site de rencontres, soient lus puisque j’ai coché « Mince » ou « Normal » dans la partie « Morphologie » de mon profil. J’ai donc plus de chances d’avoir un rendez-vous.
    4. Le groupe dominant a le pouvoir de définir et de nommer la réalité
    Ainsi donc, ils déterminent (le groupe dominant) ce qui est « normal », « réel » ou « correct ».
    Regardez (presque) n’importe quel mannequin en vitrine ou dans un magazine de mode.
    Si la minceur est érigée en norme, cela donne encore du pouvoir aux minces lorsqu'il s'agit de déterminer ce qui est la « moyenne » (ou le « préférable »).
    Quand vous [minces] vous sentez blessés — aussi légitimes soient ces sentiments — ce n’est pas le résultat d’une domination.
    Les comportements négatifs envers vous, en tant que personne privilégiée, ne sont ni omniprésents, ni limitants, ni hiérarchiques.
    Vous ne perdez rien juste parce que les mots, les actions ou les croyances d’une personne ont eu un impact émotionnel.
    Et quand vous arrivez finalement à dépasser cet impact — même si cela prend des années, ce qui peut arriver — c’est bon. C’est fini.
    L’oppression ne fonctionne pas comme ça.
    L’oppression ne s’en va jamais parce que, partout où vous allez, tout ce que vous voyez, chaque personne que vous connaissez renouvelle et renforce cette oppression.
    Et il s’agit là d’une différence significative.

     

    « Mais les minces peuvent haïr leur corps »
    Cet été, j’avais fait une vidéo nommée « Comment avoir un corps parfait pour être bikini ». Elle reprenait le mantra pour positiver sur son corps : « Mettez un bikini et c’est tout ! ».
    Et les gens ont été prompts à commenter en disant que mon message perdait son sens parce que mon corps correspond aux standards de beauté. « Facile à dire pour toi » disaient-ils.
    Et ça m’a gavé.
    Parce que je voulais être du genre « Eh bien, les minces peuvent détester leur corps eux aussi vous savez ! Que vous le trouviez parfait n’implique pas que moi je n’aie pas de problèmes avec ! »
    Mais ensuite, j’ai réalisé qu’ils avaient raison.
    Parce que voilà le truc : une personne mince peut-elle avoir des problèmes avec son image ? Est-ce qu’une personne mince peut faire la guerre à son image ? Est-ce qu’une personne mince peut détester se voir dans un miroir ?
    Absolument.
    Et est-ce que ça craint ?
    Absolument.
    Mais la différence entre ces sentiments négatifs et la grossophobie est que la seule personne préoccupée ou non par sa correspondance aux standards de beauté ici c’est moi.
    Et ce n’est pas la même chose pour les gros.
    Quand vous n’êtes pas mince, il y a vraiment des gens sur la plage qui sont offensés par votre apparence. Quand vous n’êtes pas mince, les gens pensent réellement que vous ne devriez pas mettre de maillot de bain. Quand vous n’êtes pas mince, les gens pensent vraiment qu’ils ont l’obligation morale de juger votre corps.
    Et alors que votre complexe est réel et significatif, la chose à retenir est : il se peut que vous haïssiez  votre corps, mais ce n’est pas le cas de la société tout entière.
    C’est ça le privilège de la minceur.

     

    « Mais — mais — mais —le dénigrement des maigres (le « skinny-shaming ») ! »
    Avant de vous inquiéter et de penser que je vais balayer d’un revers de la main ou sous-estimer les brutalités impliquées le dénigrement des maigres, laissez-moi vous rassurer : je ne vais pas faire ça.
    Laissez-moi affirmer ici et maintenant (et à voix haute) que personne ne devrait jamais être dénigré pour son corps. Je pense très sincèrement que positiver quant à son corps doit être ouvert à toutes les morphologies. Et absolument, il est problématique que des personnes se permettent de dénigrer les minces.

    Je ne vous dirais jamais que les attaques contre vos « jambes d’allumettes » ou insinuations (ou affirmations explicites) que vous devez avoir un trouble alimentaire ne sont pas blessantes ou que leurs effets ne sont pas d'une grande portée.
    Parce qu’ils le sont.
    Mais voici ce que je voudrais soutenir : aussi horrible que soit les moqueries envers les maigres (et ça l’est !), ce qui diffère c’est qu’elle n’implique pas une peur ou une haine omniprésentes des corps minces.
    Et tandis que les impacts personnels sont certainement importants, ce n’est pas limitant à un niveau social.

    Laissez-moi clarifier deux idées qui expliquent en quoi le dénigrement des maigres sont fondamentalement différentes du dénigrement des gros.
    1. Le dénigrement des minces comme réponse au dénigrement des gros

    Avez-vous déjà entendu la phrase supposément libératrice « Les vraies femmes ont des formes » ? Ou encore l’affirmation embarrassante : « Seuls les chiens veulent des os » ?
    Les minces n’adorent pas ces phrases. Evidemment.
    Les vraies femmes sont vraies parce qu’elles s’identifient en tant que femmes, formes ou non. Et parler du partenaire de quelqu’un comme un chien juste parce qu’il aime son corps est dégradant, ok ?

    Ok.

    Mais ces slogans affirmant la fierté d’être gros n’auraient pas besoin d’exister si le dénigrement des gros n’existait pas.

    Ces types de phrases et d’attitudes sont nés du besoin de dire « Je suis belle/beau moi aussi ! ». Il s’agit de réponses à des normes sociales.
    Et tandis que vous pouvez argumenter qu’elles sont malvenues, elles défient la grossophobie.
    Et bien qu’il ne faille certainement pas encourager ces attitudes même si ce sont des réponses à un dénigrement, ce dont il faut se souvenir à propos d’elles, selon les mots de Lindy West : « ‘Je suis fière d’être grosse’ est toujours une assertion radicale. ‘Je suis fière d’être mince’ est la norme. »

     

    2. Le dénigrement des maigres enracinées dans le sexisme
    Il est indiscutable que la société contrôle nos corps, peu importe leur apparence.
    Et c’est parce que les structures patriarcales bénéficient de ce contrôle.
    Le dénigrement des maigres sont enracinées dans ce type de sexisme.
    La société veut vous faire reconnaître qu’être mince, c’est bien – mais pas trop mince, pas mince comme ça – parce que le but est que vous restiez mal dans votre peau.
    Regardez n’importe quelle couverture de tabloid.
    Les « X a de la cellulite ! » côtoient les « Est-ce que Y a un trouble du comportement alimentaire ? ». Le message est le même : « aaah dégueu ! ».
    Bordel de merde, c’est juste impossible de gagner à ce jeu.
    Et sans tomber dans la théorie du complot, c’est exactement ce qu’ils veulent.
    Ils (remplacez « ils » par n’importe quoi – la société, les medias, l’industrie des régimes, le pouvoir du Patriarcat) veulent que les femmes continuent de poursuivre des buts inatteignables.
    Mais la différence est que la discrimination que vivent les grosses combine le sexisme ET la grossophobie.
    Elles reçoivent une deuxième couche.

    Donc, oui, dénigrer n’importe qui est nul et sexiste mais dénigrer les gros s’enracine dans un contexte et s’y ajoute.
    Donc dénigrer les gros et dénigrer les maigres, ce n’est pas la même chose.

    « Eh bien, j’ai un trouble du comportement alimentaire, donc l’idée de ‘privilège’ ne s’applique pas à moi »
    Le blog « This is Thin Privilege » précise : « Quand on explique que le privilège mince existe en dépit d’un TCA, des gens minces avec TCA s’en offensent. »
    Et je comprends.
    Parce qu’avoir un TCA c’est sérieux.
    Et quand on se sent piégé dans son corps et contrôlé par son corps, quand on atteint ce niveau de conscience, quand on souffre chaque jour, on n’a pas l’impression d’être privilégié.
    Parce qu’un TCA ça ressemble à une malédiction.
    Mais, comme l’explique This is Thin Privilege, « Je pense qu’il est important de noter que le handicap est également un statut de non privilégié, et dans ce cas, les minces avec TCA confondent l’oppression qu’ils ressentent de par ce handicap avec la négation du privilège mince. »
    Ainsi donc, la marginalisation vécue en tant que personne vivant avec un TCA est liée à ce trouble et non à votre morphologie.
    Vous vivez la maladie, vous vivez la stigmatisation, vous vivez les symptômes et les effets de ce trouble du comportement alimentaire.
    Mais ça n’annule pas pour autant votre privilège en tant que mince.
    Un homme de couleur peut vivre le racisme et bénéficie quand même de son privilège d’être un homme. Une femme non handicapée peut vivre le sexisme et bénéficie quand même de son privilège de non handicapée. Un fermier blanc pauvre peut vivre le classisme (discrimination liée à la classe sociale) et bénéficie quand même de son privilège d’homme blanc.
    Une personne avec un TCA supporte donc une forme de discrimination liée à ce trouble et bénéficie quand même du privilège mince.
    Être marginalisé dans un domaine n’annule pas les privilèges dans un autre.

    Le privilège est un sujet difficile à aborder. Il est facile d’être sur la défensive quand vous pensez à tort que quelqu’un vous demandant de prendre conscience de vos privilèges fait des suppositions sur votre vie.
    Mais voici ce que nous devons nous rappeler : Est-ce que mes expériences négatives sont liées à mes complexes ou relèvent-elles de problèmes omniprésents à un niveau sociétal ? 
    Et si vous avez conscience de votre privilège en tant que mince, vous pourrez reconnaître que la plupart du temps, vos problèmes tombent dans la première catégorie.


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