• Les répercussions des violences conjugales sur les enfants

    Le 26/11, j’ai assisté à une matinée de présentation d’

    « outils pédagogiques de sensibilisation aux répercussions des violences conjugales sur les enfants. »

     

    L’outil pédagogique en question m’a laissée perplexe : il s’agit d’une mallette contenant un petit « film », des fiches pédagogiques, un livret d’infos utiles (institutions, etc.). Le film, « Je ne suis pas une poupée », était « fait maison ». Sur la forme, je me dis qu’il aurait été intéressant de travailler avec des étudiants en cinéma, montage, comédie, etc., pour avoir un résultat mieux fichu, niveau réalisation, jeu, dialogues. Sur le fond, il était « volontairement caricatural » – pour montrer « ce qu’il ne faut pas faire » (en tant que personnel enseignant, policier-e, assistant-e social-e…). Les fiches permettent de « décoder » chaque scène (ex : la directrice d’école qui interagit avec la maman fait preuve de jugement, manque d’empathie, etc.).

    Je rejoins l’intention du projet : elle se veut bienveillante et pragmatique. Sa forme ne me convainc pas vraiment, mais j’aurai peut-être l’occasion d’emprunter cette mallette (elle sera accessible en janvier 2015) et je verrai si je change d’avis.

    Par contre, cette matinée m’a apporté deux très bonnes choses :

    • j’ai pris connaissance d’un centre de documentation auprès duquel je pourrai emprunter plein de trucs sympas et venir vous en parler,
    • il y a eu une présentation concise mais extrêmement claire du fonctionnement des violences conjugales et de la manière dont se positionnent les enfants dans un tel contexte. Cet exposé a été présenté par Véronica Saldi (qui travaille dans un refuge pour les femmes et les enfants victimes de violence intrafamiliale.) C’est cela que j’aimerais reprendre ici.

    La violence conjugale

    La conférencière a commencé par reprendre la définition de la violence conjugale :

    « Les violences dans les relations intimes sont un ensemble de comportements, d’actes, d’attitudes de l’un des partenaires ou ex-partenaires qui visent à contrôler et dominer l’autre. Elles comprennent les agressions, les menaces ou les contraintes verbales, physiques, sexuelles, économiques, répétées ou amenées à se répéter portant atteinte à l’intégrité de l’autre et même à son intégration socioprofessionnelle. Ces violences affectent non seulement la victime, mais également les autres membres de la famille, parmi lesquels les enfants. Elles constituent une forme de violence intrafamiliale. Il apparaît que dans la grande majorité, les auteurs de ces violences sont des hommes et les victimes, des femmes. Les violences dans les relations intimes sont la manifestation, dans la sphère privée, des relations de pouvoir inégal entre les femmes et les hommes encore à l’œuvre dans notre société. »

    On peut la retrouver ici.

    Comme statistiquement l’immense majorité des victimes sont des femmes, et l’immense majorité des agresseurs sont des hommes, on ne s’étonnera pas que régulièrement V. Saldi ait évoqué le père violent et la mère victime. Elle précise néanmoins que la violence conjugale peut concerner les couples homosexuels et les couples hétérosexuels. On parle aussi de violence conjugale quand la violence s’exerce après une séparation.

    La violence se distingue du conflit par la domination. L’intention est la prise de pouvoir (il ne s’agit pas juste de vouloir convaincre l’autre qu’on a raison). L’impact est la peur, la paralysie de la victime. La fréquence de cette violence permet de maintenir ou de récupérer le pouvoir. Les positions sont immuables. [NB : Sans développer, je trouve que ce schéma ne prend pas en compte la violence qui utilise la manipulation, par laquelle le manipulateur peut susciter la colère de sa victime pour ensuite l’en culpabiliser pouvant donner l’illusion que la violence peut passer d’un camp à l’autre alors qu’elle est de l’ordre de la défense lorsqu’elle vient de la victime.]

    Le cycle de la violence

    On peut observer 4 phases dans la violence conjugale :

    1. Tension : tout incident est prétexte aux reproches, la victime tente de s’ajuster pour éviter la 2e
    2. Explosion : insultes, cris, menaces et/ou coups. Il ne s’agit pas d’une perte de contrôle de la part de l’agresseur mais au contraire d’une prise de contrôle. La victime est apeurée et paralysée.
    3. Justification : L’agresseur minimise, explique, justifie. La victime accepte, se sent coupable, se dit qu’en changeant son comportement ça ne se reproduira pas. Elle en vient à douter de ses perceptions.
    4. Lune de miel : l’agresseur ‘regrette’, promet de ne pas recommencer, demander pardon. La victime se dit qu’il s’agissait d’un incident ponctuel.

    Ce cycle se répète de plus en plus fréquemment, la 3e et la 4e phases se raccourcissent.

    Les enfants

    Les enfants peuvent adopter différentes postures, différents « rôles », et peuvent passer d’une posture à l’autre à certains moments. Il y a 4 postures qui se déclinent différemment selon les phases du cycle de la violence.

    A. Parti pris pour la victime

    L’enfant perçoit qui est l’auteur de la violence et qui en est la victime. Il vit son environnement comme terrifiant et adopte le rôle de l’avocat de la défense.

    1. Pendant la première phase, l’enfant tente de diminuer la tension ou bien de la dévier en défiant l’auteur des violences. Il arrive qu’il ne veuille pas aller à l’école de peur qu’il arrive quelque chose au parent victime ou bien qu’il ait un comportement difficile à l’école pour détourner la violence. Il endosse le rôle de protecteur ou de gardien de la paix.
    2. Lorsque la violence éclate il veut intervenir : il s’interpose indirectement (en créant une diversion) ou directement. Il se fait « bouclier». Il peut aussi être tétanisé et se mettre à l’écart, ressentant alors de l’impuissance.
    3. Lorsque l’auteur justifie sa violence il peut soit intégrer les arguments donnés, soit être désigné – par les deux parents – comme bouc émissaire.
    4. Lors de la lune de miel, il peut soit pensé qu’il a aidé à la « paix » soit avoir du ressentiment pour la victime sachant que cette trêve est temporaire (dans ce cas, c’est un des moments-clés pour changer de posture).

     B. Parti pris pour l’auteur des violences

    Cette attitude doit être comprise comme un mécanisme de survie : l’enfant s’allie au plus fort pour être protégé. Il voit que dans la vie, il y a des « gagnants » et des « perdants » et que la violence est efficace (ce qui peut se traduire dans d’autres interactions, à l’école par exemple).

    1. Dans la phase de tension, il y contribue, il sape l’autorité de la victime, la « dénonce auprès du parent auteur des violences.
    2. Dans la 2e phase, il peut participer à la violence, parfois à la demande de l’auteur.
    3. Lorsque l’auteur des violences justifie son comportement, l’enfant le crédibilise et culpabilise la victime. C’est néanmoins un moment propice pour changer de posture si l’enfant n’adhère pas aux justifications de l’auteur des violences.
    4. Pendant la 4e phase, l’enfant perd ses repères et perd les bénéfices de son alliance, il ressent de l’injustice et veut ramener la tension.

    C. Conflit de loyauté

    L’enfant reçoit des infos contradictoires, il veut être fidèle aux deux parents en même temps.

    1. Pendant la première phase, l’enfant se sent déchiré, anxieux, il tente de diminuer la tension, occulte ses propres problèmes (à l’école par exemple). Il endosse le rôle de pacificateur.
    2. Lorsque la violence explose, l’enfant est dans les coulisses, il se cache, a des maux de ventre, il ressent de l’impuissance.
    3. Lors de la 3e phase, le sentiment de culpabilité de l’enfant augmente, il peut changer de posture et prendre parti pour l’un ou l’autre.
    4. Lors de la lune de miel, le conflit de loyauté perdure : l’enfant se sent responsable de la paix, et donc des violences lorsqu’elles ressurgissent.

     D. Secret

    La violence est taboue, toute la famille vit sous le sceau du secret et le déni. L’enfant peut douter de ses propres sensations et souvenirs.

    1. Dans la première phase, l’enfant minimise la tension, il est dans le déni.
    2. Lorsque la violence explose, il se déconnecte.
    3. Pendant la 3e phases, l’enfant intègre et entérine l’idée que rien de grave ne s’est passé.
    4. La lune de miel confirme que tout va bien : il ne s’est rien passé.

    Le travail avec les enfants (et les parents)

    Véronica Saldi a ensuite expliqué comment elle travaillait au refuge. Une attention est portée au lien mère/enfant et à l’impact de la violence sur l’enfant. On explique alors à l’enfant les 4 phases de la violence afin qu’il comprenne les différentes attitudes dont il a été témoin.

    Une réflexion est également mise en œuvre sur la place du père qui tentera de reprendre le contact et le contrôle . Dans ce sens, il instrumentalisera les enfants – ce qui peut amener des tensions entre la mère et ses enfants (qui peuvent réclamer de rentrer à la maison, retrouver leurs jouets, leur chambre, etc.). Afin d’établir un lien avec le père en attendant une décision de justice, un « espace rencontre téléphonique » a été créé au refuge. Le père est invité à prendre contact par téléphone avec ses enfants, il est informé du fait que la conversation est écoutée (par une assistante sociale, une psychologue…) et que s’il tente d’instrumentaliser les enfants, la communication sera interrompue. Cette communication père/enfant encadrée permet de diminuer le sentiment de manque pour les enfants et prépare père et enfant au droit de visite futur.

    Véronica Saldi a également expliqué l’importance d’un travail individuel qui prenne en compte la singularité de l’enfant, de son âge, de son histoire. Elle insiste sur l’importance d’être créatif pour s’adapter à leur singularité.

    Après la conf’ : pourquoi c’est utile de savoir tout ça…

    Même si la paix règne dans votre foyer – et j’espère que vous n’aurez pas à observer ce cycle de la violence de l’intérieur –, ces infos me semblent très utiles. La violence n’est pas le fait d’un milieu socio-culturel en particulier et peut survenir dans n’importe quel contexte. Décoder ce qui dit un-e ami-e, le comportement d’un enfant, ces propos, que ce soit dans un cadre professionnel (en tant qu’enseignant-e par exemple), familial ou amical peut s’avérer utile. Il est alors possible de comprendre pourquoi cet-te ami-e y croit encore et toujours lorsqu’il/elle vit une nouvelle « lune de miel », et pourquoi le fait que son/sa compagnon/compagne ait demandé pardon avec un bouquet de fleurs et des étoiles dans les yeux n’est pas le signe que tout est rentré dans l’ordre.

    Se respecter est une raison en soi (largement !) suffisante pour rompre une telle relation. Néanmoins, la victime peut être anesthésie, se sentir coupable, avoir une estime de soi complètement émiettée… Percevoir que la rupture a un sens pour le bien des enfants (présents ou potentiellement à venir !) peut l’aider à franchir le cap – étape nécessaire pour ensuite restaurer l’estime de soi, etc.

    Les interactions après la conférence ont aussi révélé les insuffisances des institutions : stigmatisation de la victime (personnel enseignant, police,…), décrets inadéquats par rapport à la réalité – l’exemple qui a été donné est l’exigence que la victime accueillie en refuge ait un « projet » dans un délai d’un mois (en Belgique – Région Wallonne)… En attendant que nous bénéficiions d’institutions parfaites, un entourage présent et bienveillant peut prendre le contrepied de telles lacunes. Pour reprendre l’exemple, on peut rassurer la victime en reconstruction sur la légitimité d’avoir besoin de plus d’un mois pour trouver un « projet » (je peux témoigner que ça prend carrément plus d’un mois !) – se reconstruire c’est déjà un grand projet !


    Tags Tags : , ,
  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :