• Décoloniser les esprits

    Je ne suis pas encore très disciplinée-du-blog. Je suppose qu'il mettra un peu de temps à acquérir sa "vitesse de croisière".

    En attendant, voici mes dernières contributions aux vendredis intellos :

    Nous imaginons que pour être heureux, il faut avoir un physique de rêve, un-e conjoint-e assorti-e, une belle maison, un travail lucratif, deux enfants et demi, une voiture ou deux, un ipad-pod-phone, des vacances au soleil, etc.

     

    Nous imaginons que le bien-être n’est pas accessible à tous, alors autant être l’un des heureux bénéficiaires. Ou bien, nous pensons que, pour que tous aient accès au bien-être, il faut + de production, + de développement, + de croissance, travailler +, gagner +…

     

    Nous imaginons qu’il faut manger 5 fruits et légumes, des laitages, de la viande et un kinder bueno comme dessert.

     

    Enfin, « nous », pas vous, ni moi… Quoique ?

     

    Cela fait un bon moment que j’ai commencé à blasphémer contre le dieu-Capital, que je ne crois plus à la croissance pour sauver le monde, que je m’attriste du mauvais traitement infligé à la nature, à la Terre, aux vivants qui sont dessus – humains compris…

     

    Mon imaginaire est-il néanmoins autonome, libre, hermétique aux influences et propagandes ?

     

    Quand j’ai pris le livre de Serge Latouche, Le pari de la décroissance, j’ai directement sauté à la deuxième partie « La décroissance, comment ? ». Parce que, comme je suis déjà convaincue que le dogme de la croissance est vain, telle est ma question : comment ? J’ai besoin d’un peu d’inspiration, de pistes concrètes, d’espoir pour ne pas me recroqueviller, désespérée, dans un monde que je trouve désespérant.

     

    Serge a de très belles revendications politiques. Par exemple, obliger l’industrie à fabriquer des objets réparables, avec des pièces standards, infiniment recyclables. Simplissime et génial. Yapluka. Seulement, n’étant pas ministre et ne ressentant guère de prédispositions à la politique-politicienne, ses belles idées politiques me font rêver mais pas agir.

     

    Alors Serge !? Et moi, petite citoyenne lambda, je fais quoi ?

     

    Et là, Serge m’explique un truc vraiment intéressant : nos esprits, nos imaginaires sont colonisés. Le colon, on s’en doutera, c’est l’économique, le dogme de la croissance, la consommation. Ces moyens de cette colonisation sont : l’éducation, les médias, la consommation au quotidien et le mode de vie concret. Et donc, ce que nous – chaque citoyen tout isolé qu’on puisse être – pouvons faire c’est décoloniser notre imaginaire.

     

     

     

    Enfants et adultes : tous ciblés !

     

    La colonisation commence donc dès l’enfance et même la petite enfance. Je suppose qu’il n’est pas difficile d’en être convaincu quand on voit des bambins accros à la tablette et au Coca. Les enfants sont des cibles privilégiées : plus l’endoctrinement commence tôt, plus il sera difficile, voire impossible, de remettre le dogme en question. Les habitudes alimentaires sont largement déterminées avant l’âge de 2 ans ; les bambins reconnaissent les célèbres logos avant de savoir lire ; les jouets les préparent à vouloir tel ou tel équipement ; etc. etc. !

     

    Il serait illusoire de penser que nous, adultes, sommes à l’abri, pleinement libres et conscients. Or si nos esprits sont colonisés, cela nous implique nous mais aussi les enfants que nous côtoyons de près (en tant que parents, enseignants, oncle, tante, etc.) auprès de qui nous sommes susceptibles de renforcer des messages déjà largement diffusés. Si un parent considère essentiel pour son bonheur de posséder la dernière-tablette-dernier-cri-pleine-de-nouvelles-fonctions, il va de soi que l’enfant sera d’autant plus convaincu que l’épanouissement et le bien-être passent par là.

     

    L’invitation de Serge Latouche à décoloniser nos imaginaires peut donc être une aventure familiale !

     

     

     

    Repérer les influences… et plus si affinités

     

    J’ai toujours été nulle pour comprendre et/ou apprécier la mode, je n’ai pas de TV, ni de tablette, ni de smartphone, évite donc bien des pubs, et, plus généralement, j’ai des aspirations à une certaine simplicité.

     

    Certes.

     

    Mais croire que mon esprit est resté vierge de tous les messages diffusés par la société de consommation est illusoire. Je découvre, par-ci, par-là, des comportements qui ne sont pas anodins.

     

    Par exemple, j’ai eu ma période « Candy Crush addict ». Et dire que je ne savais même pas que ça existait jusqu’au printemps 2014 ! Un article dans le Métro explique que le jeu fait son entrée en bourse… Alors voilà, je découvre… et y passe des heures !

     

    Puis, j’ai réalisé qu’au fond, cette addiction n’était pas très différente de celle au Coca-Cola (qui, personnellement, m’effraie – entendu récemment : « tu bois pas de Coca ?! mais comment tu fais ?! », euh ben c’est simple : juste, j’en bois pas). Bien sûr je n’ingère ni sucre ni édulcorant ni additifs en jouant sur internet : je passe des heures à organiser des combinaisons de bonbons. J’attends que les autres joueurs débloquent mon prochain niveau en jouant aux autres jeux du même type. La nuit, je rêve Candy Crush.

     

    Je prends conscience que je ne suis pas juste en train de me divertir. Il y a des points, un minimum à obtenir pour passer au niveau suivant, un classement, des « étoiles » qui récompensent les performances… Derrière ces couleurs sucrées, une même logique est à l’œuvre que celle en jeu dans le système scolaire et le monde du travail. On veut être le meilleur, gagner toujours plus, etc. De plus, j’y vois un aspect « lobotomisateur » : « du pain et des jeux ». Ce ne sont pas les jeux du cirque mais la logique du divertissement pour abrutir, assommer, distraire est à l’œuvre. Ah oui, je peux bien me targuer de ne pas avoir de téléviseur, ce comportement-là n’est pas très différent du zapping compulsif.

     

    « Ce que nous vendons à Coca-Cola c’est du temps de cerveau humain disponible. »

     

    Candy Crush rend mon cerveau disponible au même titre que TF1.

     

    La bonne nouvelle, c’est qu’une fois le franc tombé, il n’a pas fallu 24h pour que j’arrête – me voilà sevrée des bonbons virtuels.

     

    Comme le dit Serge Latouche :

     

    « Comme notre imaginaire a été colonisé, l’ennemi se cache au plus profond de nous-mêmes. »

     

    Ainsi, même si nous faisons déjà preuve d’un certain recul, il nous faut fouiller et traquer en nous-mêmes ces terres colonisées sans que nous en soyons conscients. Je reprends les quatre domaines relevés (mais peu développés) par Serge Latouche, en envisageant comment nous pouvons rechercher les traces de cette colonisation :

     

    • Les médias et la publicité : comment la publicité influence-t-elle mes achats ? comment les séries, films et émissions me conditionnent ? quelle vision du monde, de l’humain, de la vie et du bonheur distillent-ils ? suis-je en accord avec cette vision ? correspond-t-elle à mes valeurs ? aux valeurs que j’ai envie de transmettre ?
    • L’éducation : que diffuse l’école ? des enseignements, bien sûr, mais quelles valeurs ? quels rapports entre les êtres humains ? quelle vision de la vie ?
    • La consommation : est-ce que j’achète cet objet parce que j’en ai besoin ? parce que j’en ai envie ? parce que tout le monde en a un ? parce qu’on m’a fait croire que c’était indispensable ? quel est l’impact de mes choix de consommation ? est-ce qu’ils sont généralisables ? autrement dit, que se passerait-il si tout le monde faisait comme ça, est-ce que c’est possible?
    • Le mode de vie quotidien : quelles valeurs, quelle vision du monde sont en jeu dans ma manière de vivre, de travailler, d’organiser ma journée, de me divertir… ?

     

    Au fur et à mesure de ce questionnement, nous deviendrons plus perspicaces, plus lucides.

     

     

     

    La cure de désintoxication

     

    « Sans une remise en cause radicale du système, la réévaluation, on le sens, risque d’être limitée. Restent, pour faire avancer les choses dans le bon sens, le travail de délégitimation des valeurs et de l’idéologie dominantes, la contre-information ou la contre-manipulation pratique (…) et l’éducation à la décroissance ou la cure de désintoxication. »

     

    Plus attentifs et plus conscients, nous pourrons alors entamer une « cure de désintoxication ». Je pense d’ailleurs qu’il y a beaucoup de domaines – pas uniquement de l’ordre de la consommation – à interroger. Les conditionnements sont nombreux ! J’aimerais, au cours des prochaines semaines, explorer plusieurs types de conditionnement –ce que je trouve sur les vendredis intellos fait partie de ce qui alimente pas réflexion.

     

    Ma petite expérience de vie m’a amenée à découvrir certains de ces conditionnements à l’œuvre en moi, alors que contraires à mes idées et valeurs conscientes. Ils me travaillaient sans que je le devine. Il y en a sans doute encore d’autres à l’œuvre sans que je le sache… le travail d’exploration est loin d’être terminé !

     

    En attendant, voici, brièvement, quelques pistes pratiques pour mettre en œuvre la décolonisation de nos esprits. (Je dois avouer que si j’ai un reproche à faire à Serge c’est le manque de pistes concrètes…)

     

    Le rapport aux médias :

     

    • Regarder la TV, être devant l’ordinateur… avec modération et en conscience. Autrement dit, choisir son programme selon ce qu’on a réellement envie de regarder/lire/consulter, éviter le zapping par désœuvrement ou le surf compulsif. Mon rapport à la technologie, et surtout, à internet était très ambigu – attraction (voire addiction!) et répulsion (vade retro Facebook et autres trucs!). Il est devenu plus posé et conscient grâce à Bernard Stiegler et l’idée de pharmakon.
    • Déconditionner nos goûts : le choix des médias regardés/lus, le choix des vêtements que je porte, l’apparence que je pense devoir avoir…

     

    L’éducation :

     

     

    • Affirmer l’importance du respect de soi et des autres, de l’estime de soi plutôt que la compétition, le système des points, des classements…

     

    La consommation :

     

    • Préférer des aliments « simples » aux aliments industriellement transformés et plein d’additifs douteux.
    • Être conscient des choix possibles : on n’a parfois qu’un choix limité mais quand le choix s’élargit, en être conscients, pouvoir opter pour des produits plus conformes à nos valeurs. (Par exemple, manger de la viande tous les jours (ou presque tous les jours) est néfaste point de vue environnemental, sanitaire, humain et éthique.) Nos choix de consommation concernent bien entendu de nombreux domaines (alimentation, technologie, vacances, vêtements, etc.).

     

    Nos modes de vie :

     

    • Garder du temps libre réellement libre, sans chercher à remplir. Accepter de parfois, ne rien faire, pouvoir simplement contempler un paysage, passer du temps avec ceux qu’on aime (sans wii)…
    • Choisir des occupations qui nous nourrissent et pas uniquement qui nous divertissent.

     

    Et plein d’autres choses à penser, explorer, expérimenter…!

     

    Bien entendu, tous ces changements ne se font pas du jour au lendemain, ils se font progressivement, selon nos possibilités et nos limites. Mais l’« autotransformation », la décolonisation de nos imaginaires à laquelle nous invite Serge Latouche, sera porteuse de liberté.

     


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