• Après l'abus

    Pour ma première contribution, j’ai parlé du livre de Gérald Brassine, Prévenir, détecter et gérer les abus sexuels subis par les enfants. J’aimerais à nouveau l’évoquer pour parler de ce qui me semble être l’une des plus importantes conséquences d’un abus sexuel, ou même d’autres situations d’agression. Il s’agit d’un des mécanismes psychologiques mis en route lors de telles situations : l’impuissance acquise.

    « Il s’agit d’un sentiment d’impuissance dans lequel la victime plonge à l’occasion d’un premier abus ou d’une agression et qui se fixe instantanément dans sa mémoire.

    Cette forme d’impuissance persiste à l’état latent mais est systématiquement réactivée, tout au long de sa vie, chaque fois que la victime se trouve face à un abuseur ou à n’importe quel abus.

    Il s’agit d’un mécanisme psychologique trop peu connu qui laisse croire à tort que la victime est consentante ou même qu’elle désire être abusée. »

     

    L’enfant agressé encode donc une impuissance, qui est renouvelée à chaque nouvelle agression. Cela ne concerne pas uniquement les abus sexuels mais n’importe quelle agression dans laquelle l’enfant se sent impuissant. Un autre élément rend ce mécanisme d’autant plus problématique : les abuseurs (sexuels ou non) ont tendance à repérer intuitivement les personnes prises dans ce mécanisme. Autrement dit, quelqu’un qui a été agressé/abusé (en particulier dans l’enfance), aura beaucoup de chances de l’être à nouveau, d’une part, parce qu’il « attire » les abuseurs et d’autre part, parce que, dans une situation d’agression, le sentiment d’impuissance est réactivé, la victime n’est pas capable de réagir – jusqu’à donner l’impression qu’elle est « d’accord », voire qu’elle le recherche.

    « Cet état d’impuissance est souvent mal compris : la victime, psychologiquement paralysée, fait les gestes que son agresseur lui dit de faire et se retrouve de cette manière dans un état de soumission que, plus tard, la police ou la magistrature ont tendance à considérer non pas comme un état de choc particulier dû à l’agression, mais comme une forme d’acceptation. »

    Dans ce sens, je suis très sensible à tout ce qui s’exprimer sur la toile,tentant de libérer la parole autour du viol (exemple), dénonçant la culture du viol (exemple1 ; exemple2), le harcèlement de rue (exemple1 ; exemple2), et rappelant que « céder n’est pas consentir ». (Je réalise d’ailleurs que l’état de sidération est très proche de ce que Brassine décrit comme l’impuissance acquise… comme je ne suis pas psy, je m’abstiendrai quant à savoir si l’un est une déclinaison de l’autre, ou si ces mécanismes peuvent s’entremêler joyeusement.)

    Personnellement, identifier ce mécanisme m’a permis de comprendre pas mal de choses de mon histoire et de cesser de culpabiliser à propos de situations dans lesquelles je n’ai pas réagi.

    Loin de moi de penser que cet état est indépassable, je suis convaincue du contraire.

    D’abord, la prise de conscience permet de comprendre. Et il y a une chose capitale à comprendre : il ne s’agit pas d’être impuissant mais de se sentir impuissant. C’est déjà une bonne nouvelle.

    Ensuite, comment désamorcer ce mécanisme ? Comme je l’avais évoqué dans l’article précédent, une parole libre permet de débloquer bien des choses. Mais parfois, les blocages restent – soit parce qu’on n’a pas pu en parler, ou pas assez rapidement, ou bien… ça n’a pas suffit.

    Plus loin, toujours dans ce petit livre, Brassine pointe l’insuffisance des thérapies basées uniquement sur la parole. Les différents blocages – états de stress post-traumatique, amnésie, impuissance acquise – ne sont pas (ou peu) conscients. Quand quelqu’un replonge dans cette impuissance lors d’une 2e, d’une 3e … agression, il-elle ne se dit généralement pas « j’ai déjà été agressé-e, j’ai été incapable de me défendre ou de partir, je suis toujours incapable de me défendre ou de partir, je vais céder, c’est plus simple ». (Quoiqu’au début de la conscientisation, j’ai pu observer ce mécanisme à l’œuvre.) C’est pourquoi Brassine conseille d’autres types d’approches : les états modifiés de conscience, l’hypnose eriksonienne, l’EMDR, la psychothérapie du trauma et de la réintégration. Je n’ai pas encore eu l’occasion de tester ces méthodes. Récemment, j’ai découvert le « somatic experiencing » qui va dans le même sens. Lorsque j’expérimenterai l’une ou l’autre, je pourrai dire ce qu’il en est (à moins que quelqu’un des VI ait déjà testé l’une de ces méthodes et ait envie d’en parler… ?).

    Je pense aussi qu’on peut faire de nouveaux apprentissages, explorer des comportements qu’on n’avait jusque là pas envisagés, créer de nouvelles attitudes face à une situation potentiellement abusive. J’ai réalisé par exemple que j’avais toujours fait passer (inconsciemment) la gentillesse et l’amabilité avant le respect de moi-même (c’est probablement au moins en partie lié avec le conditionnement "une fille est gentille, douce,…"). Depuis que j’en ai pris conscience, j’ai décidé de changer la donne. Jusqu’à ne pas être aimable quand c’est nécessaire. [A la fois qu’un agresseur (quelle que soit « l’échelle » de l’agression) ne me trouve pas aimable, ce n’est pas très grave.] J’ai eu l’occasion de mettre en pratique récemment, et il y a du progrès.

    Sachons-le : on peut se (re)découvrir puissant-e.


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